Être “en questionnement”: questionner son identité LGBTQ+
Peut-être avez-vous déjà vu passer l’acronyme "LGBTQQIP2SAA", qui se veut plus inclusif que le standard "LGBTQ+". La seconde lettre « Q » y signifie "en questionnement" (ou "questioning", en anglais). Mais qu'entend-t-on exactement par "questionnement" ? Sur quels aspects de son identité peut-on se questionner ? Quel cheminement emprunte-t-on lorsqu’on se questionne ? Et enfin : pourquoi inclure cette idée au milieu des autres lettres ?
Ça veut dire quoi, "être en questionnement" ?
Le questionnement peut être un processus ou une étape, mais également une identité (transitoire) en soi. Il s’agit de réfléchir sur soi, d’émettre des doutes, des hypothèses, de se chercher. Être en questionnement sur son orientation sexuelle et sur son identité de genre (souhaitée ou vécue) peut aboutir à une identification queer, ou pas.
Se questionner sert à se sentir bien dans son identité et dans son orientation sexuelle, mais également, si on le souhaite, à poser un ou des mot(s) dessus. On peut rester en questionnement pour se laisser le temps de savoir ce qu’on est, ce qui nous convient, ce à quoi nous identifier, si besoin est.
Pour certaines personnes, le simple fait de se questionner ouvrira les portes d’un nouveau champ des possibles concernant leur identité de genre et/ou leur orientation sexuelle. Cette ouverture permettra un mieux-être, de s’être trouvé.e au-delà des normes prescrites. Pour d’autres, le questionnement aboutira à nommer une orientation sexuelle et/ou une identité de genre (exemple : je suis lesbienne, je suis une personne trans, etc…). Ce moment, le “naming”, peut également soulager et permettre de s’affirmer. Il n’y a donc pas de bon chemin, pas de bon ou mauvais choix, juste un sentiment d’être de plus en plus soi-même.
Amour, sexe, genre... etc. : sur quoi se questionner ?
Il existe un excellent outil qui permet d’entamer sa réflexion sur son propre genre, et le genre de ses attirances : il s’agit de la Licorne du Genre, crée en 2015 par Trans Student Educational Resources. L’idée de la Licorne du Genre repose sur l’idée de pouvoir positionner un curseur sur des flèches, où l’intensité peut varier. On y observe une très claire distinction entre les différents aspects de l’identité:
- L’identité de genre.
Quel est mon genre ressenti ? Est-ce que je me sens homme, femme, aucun des deux (agenre), les deux (bigenre), ou quelque part au milieu (non-binaire) ? On peut également réfléchir sur le(s) pronom(s) qu’on souhaite utiliser pour parler soi-même : elle, il, iel, aucun pronom, etc…
- L’expression de genre.
De quelle manière est-ce que je souhaite exprimer mon genre ? A travers mes choix vestimentaires, ma coiffure, le fait de me maquiller, mon langage corporel, mon timbre de voix, etc. L’expression de genre ne correspond pas forcément aux normes de l’identité de genre. Ainsi, par exemple, quelqu’un qui s’identifie comme homme peut tout à fait exprimer son genre de manière dite « féminine ».
- L’orientation sexuelle/attirance physique.
Quel est l’objet de mon désir ? Suis-je attiré.e vers le même genre que le mien (homosexuel.le), un genre différent du mien (hétérosexuel), ou par le mien et par d’autres genres (bisexuel.le, pansexuel.le, queer) ?
- L’orientation romantique/attirance émotionnelle.
Elle peut être identique ou différente de l’orientation sexuelle. On peut par exemple être attiré sexuellement par plusieurs genres, mais n’avoir des relations romantiques qu'avec qu’un genre spécifique, ou inversement.
Il est également possible de se questionner sur d’autres aspects identitaires qui ne sont pas mentionnés par la Licorne du Genre :
- Le degré d’attirance sexuelle.
Est-ce que je suis peut-être asexuel (pas ou peu d’attirance sexuelle), ou à l’extrême inverse, hypersexuel (très forte libido) ? Ou quelque part entre les deux ?
- Le degré d’attirance romantique.
Est-ce que je suis peut-être aromantique (pas ou peu d’attirance romantique), ou à l’extrême inverse, extra-romantique ? Ou quelque part entre les deux ?
- Le type de relation amoureuse.
A quelles sortes de relations suis-je ouvert.e ? La monogamie (un.e seul.e partenaire à la fois), les relations ouvertes/libres (avoir un.e partenaire et vivre des expériences ponctuelles en dehors de cette relation), le polyamour (vivre plusieurs relations amoureuses en même temps) ?
Ou suis-je ambiamoureux.se (c’est-à-dire ouvert.e à différents types de relations suivant les personnes que je rencontre) ?
- Le type de sexualité.
Suis-je plus attiré.e vers une sexualité ordinaire /« vanille », ou plutôt vers une sexualité BDSM/« kink » ? Ou quelque part entre les deux ?
Il est également tout à fait envisageable de faire le choix de ne pas se définir et/ou d’être fluide dans ses attirances, ses relations, et/ou son propre genre, de manière à rester libre de toute étiquette. En revanche, cela peut mener à un paradoxe : ne pas pouvoir ou vouloir mettre de mots sur notre identité peut potentiellement l’empêcher d’exister.
Certaines personnes ont besoin de mettre un ou des mot(s) sur ce qu’elles sont, et d’autres n’en ressentent pas le besoin. Si l’on souhaite se définir, il existe autant la possibilité de choisir un terme précis ou au contraire un terme plus large. Le mot « queer » par exemple, évoque le questionnement constant et permet de contourner l’injonction de devoir définir précisément qui on est, tout en statuant qu’on se sent appartenir à la communauté LGBTQ+. On peut penser que toute personne peut s’identifier comme queer lorsqu’elle ne se retrouve pas dans les normes liées au genre et/ou à la sexualité, ou peine à s’identifier aux schémas normatifs. Certaines personnes affichent leur identité queer de manière visible et/ou revendicatrice, d’autres pas, mais cela ne rend pas leur identité moins légitime.
Les différentes étapes du questionnement
La ou les identification(s) que l’on choisit pour soi peuvent changer à n’importe quel moment de notre vie, que l’on soit adolescent.e ou jeune retraité.e. Il peut donc exister plusieurs phases de questionnement, sur le même aspect de son identité et/ou sur des aspects différents. La ou les phase(s) de questionnement peuvent prendre quelques semaines, plusieurs mois, des années ou encore durer toute la vie.
Les étapes du questionnement peuvent arriver dans cet ordre ou dans un ordre différent, en totalité ou en partie :
- se sentir différent.e ou en décalage ;
- ressentir une attirance physique, émotionnelle et/ou amoureuse pour quelqu’un ;
- être confronté.e à l’homo/bi/transphobie interiorisée ;
- faire son coming in pour soi-même;
- faire un premier coming out ;
- vivre une expérience sexuelle et/ou amoureuse qui confirme ou infirme ses doutes, ses réflexions et/ou son identification.
Fait-on partie de la communauté queer lorsqu'on est en questionnement ?
La question de la légitimité est intimement liée à l’idée de questionnement et revient souvent dans le discours des personnes qui se questionnent. Il est important de rappeler que ne pas avoir d'expérience d’une certaine sexualité ou identité de genre ne devrait pas avoir d'influence sur la manière dont on s'identifie. On est libre de s’identifier de la manière que l’on souhaite, du moment que cette identité nous correspond, indépendamment du nombre ou du genre des partenaires que l’on a eu, de notre apparence physique, etc.
Conclusion
Il est important de normaliser l’idée de questionnement, et que celui-ci est différent pour chacun.e. On peut envisager le questionnement comme l’idée que chaque facette de nous-même peut être modulée sur un spectre. On ne doit à personne de se définir d’une manière ou d’une autre, ni à un certain moment. Il est possible de se faire accompagner dans son processus de questionnement, par une association queer, des proches de confiance alliés, un.e psychologue spécialisé.e dans les questions LGBTQ+…
En effet, il faut se souvenir que le questionnement peut être perturbé par les normes sociétales, la peur de l’image qu’on va renvoyer, la crainte du rejet par ses proches, et donc par extension par l’hétéronomativité, l’homophobie, la biphobie, la transphobie, la binarité de genre, le sexisme et le patriarcat.
A noter
l’identité et l’expression de genre (et dans certains cas, l’orientation sexuelle/romantique) structurent notre quotidien : dans nos interactions avec notre entourage et avec l'administration, nous devons constamment nous positionner sur notre propre genre, voire sur le genre de la ou les personnes avec qui on relationne : notre société repose encore beaucoup trop sur le besoin de genrer les individus, ce qui rend le processus de questionnement d’autant plus complexe, mais nécessaire.
Prenez soin de vous et… bon questionnement !
Eva Spaeter & Camille Légeron